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Déclaration de grossesse
Délibérations de la communauté de Cannes entre 1710 et 1789
Au début du XVIe siècle, l’Eglise d’Occident ne répond plus depuis longtemps aux besoins des fidèles. Trop de compromissions temporelles, trop d’autoritarisme… Les clercs sont ignorants. Les évêques cumulent des sièges épiscopaux pour gagner de l’argent. Les papes ne songent qu’à embellir Rome et la basilique Saint-Pierre, et à organiser des fêtes. Pour couvrir les énormes frais que requièrent leurs goûts artistiques, ils vendent des indulgences. En les achetant, dit l’Eglise, l’homme obtient la remise des peines impliquées par son péché. Il peut même espérer gagner le Paradis…Les hommes et les femmes du début du XVIe siècle vivent dans l’anxiété. La mort et Satan, partout présents, les effraient. La chasse aux sorcières, approuvée officiellement en 1484 par une bulle du pape Innocent VIII, a connu un regain au XVe siècle, et durera jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Cent mille personnes laisseront leur vie sur les bûchers. Les flammes sont également le sort de ceux qui exigent une réforme vigoureuse de l’Eglise. A cette époque, Dieu lui-même fait peur : de nombreux chrétiens voient en lui un juge impitoyable, qui les condamnera au jour du Jugement dernier.C’est dans ce contexte qu’apparaît Martin Luther. Né en 1483 à Eisleben en Thuringe, il devient moine en 1505 à Erfurt. Il applique strictement la vie austère de sa congrégation. Fort de ses convictions personnelles, il s’en prend aux indulgences, qui font croire aux hommes qu’ils peuvent acheter leur salut et celui de leurs défunts. Un prédicateur de ce temps ne disait-il pas : « Une âme monte au ciel quand la pièce sonne au fond du tronc ? » Le 31 octobre 1517, Luther donne le coup d’envoi de la Réforme à Wittenberg, où il enseigne les Ecritures, en publiant 95 thèses sur les indulgences. Le conflit avec la papauté est inévitable, même si Luther n’a aucune intention de créer une nouvelle Eglise.Les sermons développés par les intervenants des deux bords vont se transformer en fougueux débats théologiques, et tout naturellement l’affrontement des parties s’engagera dès l’ouverture en 1545 du concile de Trente dont le but pour Rome était destiné à étouffer la contradiction en reprenant l’initiative des opérations.L’achèvement du concile de Trente en 1563 coïncida avec le début de la première guerre de religion et marqua la rupture définitive entre Rome et les partisans de la réforme.Lors de ce concile, il fut décidé plus particulièrement d’interdire la traduction de la bible afin d’éviter les interprétations servant d’arguments à la contestation. Par ailleurs, quelques décisions furent arrêtées pour lutter contre les dérives trop flagrantes de l’église traditionnelle. Bien entendu, les délibérations adoptées reçurent le soutien des états « très chrétiens ». Parmi les ordonnances prises par le roi de France Henri II, on trouve ainsi, un édit donné à Paris, en février 1556, "Contre le recelé de grossesse et d'accouchement"Édit contre le recelé de grossesse et d'accouchementEdit de Paris, février 1556, donné par Henri II. Bertrand, Garde des Sceaux. Enregistré le 4 mars au Parlement.Henry, par la grâce de Dieu Roy de France à tous présents et à venir Salut, etc. Comme nos prédéceseurs et progéniteurs très chrestiens roys de France, ayant par actes vertueux et catholiques, chacun à son endroit, montré par leurs très louables effects qu'à droit et bonne raison le dit nom de très chrestien, comme à eux propre et péculier (particulier) leur avait été attribué, en quoy les voulants imiter et suyvre et ayant par plusieurs bons et salutaires exemples tesmoigné la dévotion qu'avons à conserver et garder ce tant céleste et excellent titre, duquel les principaux effects sont de faire initier les créatures que Dieu envoye sur terre en nostre Royaume, pays, terres et seigneuries de nostre obéissance, aux sacrements par luy ordonnez ; et quand il luy plaist les appeler à soy, leur procure curieusement les autres sacremens pour ce instituez, avec les derniers honneurs de sépulture.Et estant deuement advertis d'un crime très-énorme et exécrable, fréquant en notre royaume, qui est que plusieurs femmes ayants conceu par moyens deshonnestes, ou autrement, persuadés par mauvais vouloir et conseil, desguisent, occultent et cachent leurs grossesses, sans en rien descouvrir et déclarer, et advenant le temps de leur part (parturition) et délivrance de leur fruict, occultement s'en délivrent, puis le suffoquent, meurtrissent, et autrement suppriment, sans leur avoir fait impartir le saint sacrement de baptesme, ce fait, les jette en lieux secrets et immondes, ou enfouyssent en terre profane, les privants, par tel moyen, de la sépulture coustumière des chrestiens ;De quoy étans prévenues et accusées devant nos juges, s'excusent, disants avoir eu honte de déclarer leur vice, et que leurs enfants sont sortis de leurs ventres morts, et sans aucune apparence ou espérance de vie : tellement que par faute d'autre preuve les gens tenants tant nos cours de parlement qu'autres, nos juges, voulants procéder au jugement des procès criminels faits à l'encontre de telles femmes, sont tombez et entrez en diverses opinions : les uns concluants au supplice de mort, les autres à question extraordinaire, afin de scavoir et entendre par leur bouche si, à la vérité, le fruict issu de leur ventre esttoit mort ou vif ;Après laquelle question endurée, pour n'avoir aucune chose voulu confesser, leur sont les prisons le plus souvent ouvertes, qui a esté et est cause de les faire retomber, récidiver et commettre tels et semblables délicts, à nostre très-grand regret et scandale de nos sujets. A quoy, pour l'avenir nous avons bien voulu pourvoir ;Sçavoir faisons, que nous désirants extirper et du tout faire cesser les dits exécrables et énormes crimes, vices, iniquitez et delicts qui se commettent en nostre dit royaume, et oster les occasions et racines d'iceux doresnavant commettre, avons pour ce à obvier dit, statué et ordonné, et par édit perpétuel, loy générale et irrévocable, de nostre propre mouvement, plaine puissance et authorité royal, disons, statuons, voulons, ordonnons et nous plaist,Que toute femme qui se trouve deuement atteinte et convaincue d'avoir celé, couvert et occulté, tant sa grossesse que son enfantement, sans avoir déclaré l'un ou l'autre, et avoir prins (pris) de l'un ou de l'autre tesmoignage suffisant, même de la vie ou mort de son enfant lors de l'issue de son ventre, et après, se trouve l'enfant avoir esté privé, tant du sacrement de baptesme, que sépulture publique et accoustumée, soit telle femme tenue et réputée d'avoir homicidé son enfants. Et pour réparation punie de mort et dernier supplice, et de telle rigueur que la qualité particulière du cas le mériterz : afin que ce soit exemple à tous, et que cy après n'y soit fait aucun doute ni difficulté.Ci donnons en mandement par ces présentes à nos amés et féaux conseillers les gens tenant nos cours de parlement, baillifs, séneschaux, et autres, nos officiers et justiciers ... etc.Cet édit était donc essentiellement destiné à empêcher que des femmes puissent être tentées de supprimer les enfants conçus hors mariage.Toute fille ou femme hors de puissance maritale était tenue de déclarer sa grossesse dès qu'elle en avait connaissance, soit devant les autorités de justice, soit devant notaire. La prise en charge par une sage-femme ayant prêté serment pouvait, le cas échéant, attester que l'enfant était mort en naissant et que la fille ou veuve n'avait pas commis d'homicide. En cas de non déclaration, la présomption d'homicide était automatiquement retenue contre la future mère si celle-ci venait à avorter, ou si l'enfant décédait à sa naissance. La peine encourue était la pendaison.Visant à prévenir les infanticides, l’édit prévoyait le rappel de ses dispositions 4 fois l’an au prône de toutes les églises paroissiales.On comprend, à la lecture de cet édit, l'intervention très fréquente de la sage-femme que l’on rencontre dans de nombreux actes paroissiaux. Devant prêter serment pour exercer son métier, elle certifiait, notamment, dans les actes de sépultures des mort-nés que l'enfant était sorti sans vie du sein de sa mère.Bien que l'Edit n’en fit pas une obligation, la déclarante dénonce souvent son partenaire. Il convient toutefois d'accueillir avec réserve les accusations ainsi portées qui ne reflètent pas toujours la vérité : la future mère soumise aux pressions du père véritable peut avoir voulu détourner les soupçons de celui-ci en désignant un quidam étranger à l'affaire, ou bien alléchée par la fortune de ce dernier, avoir voulu tenter de tirer profit de sa situation.La déclaration se faisait sans frais. Dans les semaines qui la suivent, on rencontre assez souvent un procès en demande de dommages et intérêts "pour pucelage perdu", ou une demande de pension alimentaire pour élever l'enfant. L'Edit ne précisait pas devant quelle autorité les déclarations devaient être faites. A Paris, elles se faisaient devant les Commissaires au Châtelet, en province au greffe ou par devant le juge. On en trouve également parfois dans les minutes notariales.
Nicole Renoir (2005)
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